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Chapitre 4

Déficience individuelle,
désir universel

Sophie parle beaucoup avec son fils. De ce qui relève du privé ou du public par exemple, des endroits du corps qui sont intimes. Elle a expliqué à Théo qu’il pouvait se masturber, mais uniquement dans des lieux privés, et pourquoi cela n’était pas acceptable en public.

 

Il faut aussi travailler la question du consentement, qui implique d’interpréter les désirs de l’autre.  Les personnes autistes ont tendance à projeter leurs propres désirs sur autrui. Sophie a vécu cela récemment, lorsque son fils Théo est tombé amoureux d’une camarade de classe. « Il lui faisait sans cesse des bisous et des câlins. » Elle a alors dû lui expliquer que ce n’était pas parce que, lui, avait des sentiments pour elle, que c’était forcément réciproque.

« Au début, Antoine se masturbait partout, même dans les lieux publics », raconte Carine, mère d’un adolescent trisomique. Cela fait quatre ans qu’elle travaille avec son fils sur le sujet. En classe de sixième, l’adolescent s’était masturbé dans la cour de récréation. La crainte de voir son fils renvoyé du collège a motivé Carine à redoubler d'efforts.

 

Ces situations sont courantes pour les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle ou de troubles autistiques. Leurs comportements peuvent être perçus comme déviants alors qu'ils sont la conséquence d’un manque de compréhension des règles de vie en société, qui change le rapport à la sexualité.

 

Les parents s’impliquent alors dans l'éducation sexuelle de leurs enfants. Ils leur apprennent à découvrir leur corps, son fonctionnement, à dire "non", à savoir quelles parties relèvent de l’intimité, et quelles en sont les limites. Un travail quotidien, où la patience est de rigueur.

Dans sa bulle ?

 

Pour expliquer l’un des enjeux majeurs de l’autisme, Sophie simplifie : « Si on ne leur explique pas les choses concrètement, ils ne peuvent pas les deviner. » Sophie est la mère de Théo, un adolescent autiste Asperger. Celui-ci rêve d'avoir des amis, une amoureuse même, « mais il ne sait pas comment faire, il se prend des râteaux », explique sa mère. Les difficultés quotidiennes liées à l’autisme se retrouvent décuplées dans la vie affective et sexuelle, qui repose notamment sur l’interprétation de “signaux non-verbaux”. Le simple fait d'engager la conversation avec la personne désirée, lui sourire et la regarder dans les yeux sont des “compétences” sociales difficiles à acquérir pour quelqu'un comme Théo.

 

Jugées insensibles à tort, les personnes autistes « sont des éponges », rapporte Sophie. Cette hypersensibilité peut provoquer une réception décuplée des sons, du toucher ou des odeurs. Perçus comme dans leur bulle, les autistes cherchent le plus souvent à se protéger d’une déferlante d’émotions ; caractéristique des relations affectives et sexuelles.

Il faut donc prendre le temps, dès le plus jeune âge, d’aborder ces questions, afin de savoir comment réagir face à des situations sources d’angoisse et pouvant aboutir à des comportements violents ou déplacés. Isabelle Hénault, psychologue et sexologue canadienne, a développé un programme d'éducation sexuelle destiné aux personnes autistes, dans lequel elle encourage la discussion avec l’enfant dès ses cinq ans. Sans parler de sexualité mais en ouvrant la voie, en abordant le corps, l’intimité. Cette discussion est souvent mise de côté par les familles, qui considèrent la question de la sexualité comme « moins primordiale ». Souvent, elles attendent le dernier moment, par crainte de « donner des idées ».

 

Parents en quête de mode d’emploi

 

Sophie déplore le manque de sensibilisation. Lorsqu’elle a rencontré des problèmes avec la masturbation de son fils, elle s’est retrouvée « totalement démunie ». En France, en termes d’information, pour les parents comme pour le personnel médical, c’est le désert. Elle raconte avoir voulu rencontrer un psychologue-sexologue spécialisé dans la déficience intellectuelle, pour échanger sur la difficulté de son fils à se masturber sans se faire mal. Un véritable échec. Le médecin a mimé une masturbation avec un stylo. Théo n’a pas fait le lien. « Pour la contraception ou les MST, on a des outils concrets de pédagogie, alors pourquoi pas pour ça ? »

« J’ai confiance en toi Antoine, je sais que tu peux y arriver ! » C’est ce que répète sans cesse Carine à son fils pour freiner sa masturbation excessive. La clé de la réussite ? La persévérance. « Il faut sans cesse rabâcher les choses, donner un cadre. » Cette opinion est partagée par de nombreux parents d’enfants atteints de déficiences intellectuelles ou de troubles autistiques.


En discutant avec elles, on comprend l'urgence dans laquelle se trouvent ces familles. La question de la prise en charge de leurs enfants, lorsqu'ils ne seront plus là, les inquiète. Si leurs enfants n'ont pas acquis l'autonomie nécessaire à la vie en société, ils seront forcés à une vie en institution.

La surprotection des institutions

 

Entre craintes de grossesses et peurs des abus sexuels, les institutions spécialisées qui logent des personnes déficientes intellectuelles – comme les Instituts médico-éducatifs (IME) ou les foyers de vie - surprotègent leurs résidents. Il y a encore quelques années, ces derniers étaient systématiquement traités comme des enfants. « Aujourd’hui, avec le développement du concept de ‘’santé sexuelle’’ - qui reconnaît la sexualité comme source de bien-être essentiel à la santé  - et la prise en compte croissante de la personne en tant que telle, on observe le passage à un statut d’adolescent. Ils doivent demander la permission pour aller passer la nuit dans la chambre de leur copain ou de leur copine », relève Lucie Nayak, auteure de Sexualités et handicap mental. Les éducateurs évaluent la légitimité de la demande, autorisant ou non les relations sexuelles. « C’est une évolution, mais il s’agit d’adultes, regrette la chercheuse, il faudrait surtout leur permettre de développer une vie sexuelle autonome. »

 

Papillonnage interdit

 

Certains établissements spécialisés mettent en place des chambres pour couple avec un accès ponctuel sur demande, d’autres y vivent. Mais, là encore, la relation des deux partenaires doit répondre à des critères appartenant aux normes sexuelles dominantes : elle doit être pérenne, exclusive, et caractérisée par un engagement sentimental. « Et pas uniquement des sex-friends », précise Lucie Nayak. La sexualité des résidents se heurte également aux contraintes de la vie en institution que sont les lieux et les horaires. « Personnellement, si j’avais à faire ce type de démarches avant d’avoir un rapport sexuel, cela me couperait l’envie », reconnaît la docteure en sociologie.

La vie en collectivité peut rendre les ruptures amoureuses compliquées : croiser quotidiennement son ancien partenaire dans les couloirs, ou encore l’observer rencontrer quelqu'un d'autre, peut entraîner des disputes et des rivalités. Alors le personnel encadrant veille à éviter les chagrins d’amour. « Parfois, cette surprotection fait sans doute plus de mal que de bien, estime Lucie Nayak. C’est en leur laissant la possibilité d’expérimenter et de se tromper que nous les reconnaissons comme des êtres humains. »

 

Le “pluri-partenariat” est souvent découragé, voire interdit. « Je me souviens qu’un directeur d’institution s’était prononcé contre le papillonnage en justifiant que “tromper fait souffrir”, mentionne la chercheuse. Finalement, on leur demande de faire mieux que les non-handicapés. Vivre en institution, avec des horaires, le regard des autres, et le fait de devoir rendre des comptes aux éducateurs en leur demandant des autorisations, pose des limites évidentes à la vie affective et sexuelle. » À certains égards, cela fait écho aux pratiques que l'on peut observer dans le contexte de l'hôpital psychiatrique (notre prochain épisode), où règnent aussi  surprotection, crainte de la violence, prévention à outrance contre les grossesses non désirées... Où la sexualité est placée sous surveillance, voire empêchée.

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David Simard est sexologue et doctorant en philosophie à l'université de Paris-Est Créteil. Il prépare une thèse sur la 
médicalisation de la sexualité. Il a publié des articles universitaires sur la sexualité des personnes handicapées et notamment sur le consentement.

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Lucie Nayak est docteure en sociologie et l'auteure de Sexualité et handicap mental : L’ère de la « santé sexuelle », publié en 2017. Sa thèse porte sur le traitement social de la sexualité des personnes « handicapées mentales ».

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Denis Vaginay est docteur en psychologie clinique, psychanalyste et formateur. Il est le premier à avoir écrit sur la vie affective et sexuelle des personnes déficientes intellectuelles.

« Apprendre à Antoine à se masturber : est-ce vraiment mon rôle ? »

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