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Chapitre 3

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Sexe, loi
et camisole

La camisole, les fous, les crises, les aliénés, la lobotomie... Le répertoire de clichés horrifiques en lien avec l'hôpital psychiatrique est vaste. Et dans ce cadre, comment les familles peuvent-elles accepter que leurs enfants aient des relations sexuelles ? Côté médical, le sexe est jugé secondaire. Priorité aux soins. Côté famille, il est impensable de laisser sa fille ou son fils, fragile psychologiquement, à la portée de gens instables. Longtemps, imaginer les résidents entretenir des rapports sexuels était donc exclu, inenvisageable. Pourtant, ils existent, et les établissements ont dû s'adapter.

« Quand on a commencé à apporter les kiosques à préservatifs dans les services, on les a retrouvés au fond des armoires. »

Ce n'est que depuis 2012 qu'il est interdit de prohiber les relations sexuelles.

Christiane Charmasson est psychiatre à Paris. Elle a notamment participé à l'ouvrage Prévention du Sida en milieu spécialisé.

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Pierre Burucoa est avocat à la Cour inscrit au Barreau de Bordeaux. Il s’est chargé de l’affaire Cadillac de 2012 à 2014. 

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« Quand on a commencé à apporter les kiosques à préservatifs dans les services, on les a retrouvés au fond des armoires. »

La mixité est instaurée dans les années 1970. Née en 1937, l'appellation “hôpital psychiatrique” remplace celle de “l'asile”, très proche alors du milieu carcéral. Lorsque la circulaire est votée en 1969, on cherche à humaniser un lieu qui fait peur, qui dérange. Mélanger hommes et femmes, aussi bien chez les patients que dans le personnel médical, est un moyen de transformer “l'hospice” en hôpital, plus proche de la société civile.

Mais aujourd'hui encore, cette décision fait débat. Les stéréotypes ont la peau dure. Anaïs Jehanno, directrice de la communication du centre hospitalier Guillaume-Régnier, à Rennes, regrette que, dans l'imaginaire collectif, l'hôpital psychiatrique reste un endroit plein de déviants.

Tous les ans, elle est confrontée à des demandes d'étudiants en cinéma pour tourner des courts-métrages d'horreur. Alors, quand les familles découvrent la mixité de l'établissement, la surprise se mêle à l'inquiétude. « Je reçois très régulièrement des courriers de parents qui s'étonnent, voire s'indignent de la mixité. Il faut que les gens comprennent que nous ne sommes pas une prison », s'exclame-t-elle.

 

Malgré cette évolution, le passage à la pratique reste difficile. De nombreuses associations dénoncent, dans les années 1970, la maltraitance en hôpital psychiatrique et des conditions de vie inhumaines. En 1975, elles signent une Charte des internés. Parmi leurs revendications, elles exigent notamment « le libre accès à la sexualité, à la contraception, à l’avortement, à la grossesse et à toutes les informations concernant ces quatre points ».

Ce n'est que depuis 2012 qu'il est interdit de prohiber les relations sexuelles.

Prise en compte forcée

 

Il leur faut pourtant attendre les années 1980 et l'arrivée du sida pour que la sexualité des patients soit véritablement prise en compte en institution. Lorsqu'une maladie inconnue, sexuellement transmissible, décime les rangs des patients, les établissements psychiatriques n'ont plus d'autre choix que de sortir la tête du sac. « On savait que ça existait, mais on n'avait pas envie d'en parler. Les gens ne sont pas à l'aise avec la sexualité », raconte Christiane Charmasson, psychiatre et ancienne responsable du comité sida de l'hôpital Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne. Sa recherche sur la prévention de la transmission du VIH parmi les patients suivis en psychiatrie a donné lieu, en 1996,

à une circulaire gouvernementale contenant des protocoles à mettre en place, diffusée dans tous les hôpitaux publics de France. Mais ces efforts sont vains. « Quand on a commencé à apporter les kiosques à préservatifs dans les services, on les a retrouvés au fond des armoires », se souvient

la praticienne.

Christiane Charmasson estime que la diffusion du VIH a forcé les institutions à considérer les autres aspects de la vie sexuelle de leurs patients. Après bien des batailles, le comité sida finit par intégrer les mentions “sexualités et préventions” à son nom. De nombreux professionnels se mettent à concevoir des opérations concernant la contraception et la grossesse, l'ensemble des MST/IST mais aussi les violences sexuelles. Toutefois, le combat reste rude : « Pour l'IVG, ce n'était pas simple du tout. On disait : “Elle accouchera et puis voilà !”. Moi, j'ai eu une patiente qui s'est retrouvée avec ses trois enfants placés à la Dass », déplore la psychiatre. Au-delà de la gestion de risques, l'enjeu est pour elle « la capacité des soignants à changer leur regard sur la sexualité des patients ».

 

L'affaire Cadillac, étape charnière

 

Claude Baudoin a soixante-douze ans. Après huit ans de prison, il en fait vingt-sept en unité de malades difficiles (UMD). Dès ses dix-huit ans, il est aux prises avec la justice, d'abord pour vol, puis pour assassinat. Histoire tragique, fait divers classique. Sa compagne le trompe, il tue celui qu'il soupçonne être l'amant. Bénéficiant d'une remise de peine, il sort plus tôt que prévu. Mais la justice le considère comme un “homme dangereux”, et l'interne de force à l'UMD de Montfavet, dans le Vaucluse.

 

Selon les mots de son avocat, Pierre Burocoa, Claude Baudoin est considéré comme « un procédurier ». En vingt-sept ans d'internement, il traîne en justice les établissements qu'il fréquente une bonne dizaine de fois. Et parfois, il trouve des failles. En 2012, il est à l'origine de la jurisprudence sur les libertés sexuelles en institution psychiatrique. C’est l’affaire Cadillac (à voir sur version ordinateur).

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Retour aux portes

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La mixité est instaurée dans les années 1970. Née en 1937, l'appellation “hôpital psychiatrique” remplace celle de “l'asile”, très proche alors du milieu carcéral. Lorsque la circulaire est votée en 1969, on cherche à humaniser un lieu qui fait peur, qui dérange. Mélanger hommes et femmes, aussi bien chez les patients que dans le personnel médical, est un moyen de transformer “l'hospice” en hôpital, plus proche de la société civile.

 

Prise en compte forcée

 

Il leur faut pourtant attendre les années 1980 et l'arrivée du sida pour que la sexualité des patients soit véritablement prise en compte en institution. Lorsqu'une maladie inconnue, sexuellement transmissible, décime les rangs des patients, les établissements psychiatriques n'ont plus d'autre choix que de sortir la tête du sac. « On savait que ça existait, mais on n'avait pas envie d'en parler. Les gens ne sont pas à l'aise avec la sexualité », raconte Christiane Charmasson, psychiatre et ancienne responsable du comité sida de l'hôpital Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne. Sa recherche sur la prévention de la transmission du VIH parmi les patients suivis en psychiatrie a donné lieu, en 1996,

à une circulaire gouvernementale contenant des

protocoles à mettre en place, diffusée dans tous les

hôpitaux publics de France. Mais ces efforts sont vains.

« Quand on a commencé à apporter les kiosques à

préservatifs dans les services, on les a retrouvés au fond

des armoires », se souvient la praticienne.

 

Christiane Charmasson estime que la diffusion du VIH a forcé les institutions à considérer les autres aspects de la vie sexuelle de leurs patients. Après bien des batailles, le comité sida finit par intégrer les mentions “sexualités et préventions” à son nom. De nombreux professionnels se mettent à concevoir des opérations concernant la contraception et la grossesse, l'ensemble des MST/IST mais aussi les violences sexuelles. Toutefois, le combat reste rude : « Pour l'IVG, ce n'était pas simple du tout. On disait : “Elle accouchera et puis voilà !”. Moi, j'ai eu une patiente qui s'est retrouvée avec ses trois enfants placés à la Dass », déplore la psychiatre. Au-delà de la gestion de risques, l'enjeu est pour elle « la capacité des soignants à changer leur regard sur la sexualité des patients ».

 

L'affaire Cadillac, étape charnière

 

Claude Baudoin a soixante-douze ans. Après huit ans de prison, il en fait vingt-sept en unité de malades difficiles (UMD). Dès ses dix-huit ans, il est aux prises avec la justice, d'abord pour vol, puis pour assassinat. Histoire tragique, fait divers classique. Sa compagne le trompe, il tue celui qu'il soupçonne être l'amant. Bénéficiant d'une remise de peine, il sort plus tôt que prévu. Mais la justice le considère comme un “homme dangereux”, et l'interne de force à l'UMD de Montfavet, dans le Vaucluse.

 

Selon les mots de son avocat, Pierre Burocoa, Claude Baudoin est considéré comme « un procédurier ». En vingt-sept ans d'internement, il traîne en justice les établissements qu'il fréquente une bonne dizaine de fois. Et parfois, il trouve des failles. En 2012, il est à l'origine de la jurisprudence sur les libertés sexuelles en institution psychiatrique. C’est l’affaire Cadillac.

Chapitre 2

Chapitre 4

Hôpital psychiatrique

Sexe, loi et camisole

Mais aujourd'hui encore, cette décision fait débat. Les stéréotypes ont la peau dure. Anaïs Jehanno, directrice de la communication du centre hospitalier Guillaume-Régnier, à Rennes, regrette que, dans l'imaginaire collectif, l'hôpital psychiatrique reste un endroit plein de déviants. Tous les ans, elle est confrontée à des demandes d'étudiants en cinéma pour tourner des courts-métrages d'horreur. Alors, quand les familles découvrent la mixité de l'établissement, la surprise se mêle à l'inquiétude. « Je reçois très régulièrement des courriers  de parents qui s'étonnent, voire s'indignent de la mixité. Il faut que les gens comprennent que nous ne sommes pas une prison », s'exclame-t-elle.

Malgré cette évolution, le passage à la pratique reste difficile. De nombreuses associations dénoncent, dans les années 1970, la maltraitance en hôpital psychiatrique et des conditions de vie inhumaines. En 1975, elles signent une Charte des internés. Parmi leurs revendications, elles exigent notamment « le libre accès à la sexualité, à la contraception, à l’avortement, à la grossesse et à toutes les informations concernant ces quatre points ».

Hôpital psychiatrique Sexe, loi et casimole

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