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Bienvenue au centre socio-thérapeutique et culturel, le CSTC, un lieu de vie installé à l'entrée de l'hôpital psychiatrique Guillaume-Régnier, à Rennes. C'est une maison faite de briques, ouverte à tous. La cafèt' est gérée par des infirmiers, des aides-soignants et des patients. Un premier coup d'œil dans la salle évoque n'importe quel foyer culturel. Un baby-foot prend la poussière à côté d'une étagère branlante, sur laquelle sont entassés livres et jeux de société.
Les regards sont méfiants. Alors parler de sexe de but en blanc... Forcément, les premiers échanges sont laborieux. Mais passées les frilosités, la discussion tourne très vite autour du manque d'espace personnel. Thierry, lui, botte toujours en touche. De toute façon, ce qu'il aime, lui, c'est lire.
Chambre 118. Quatre petits coups, et une voix faible, épuisée : « Entrez. » Le corps maigre d’Eugénie est recroquevillé sur un fauteuil. Ses propos virulents lui redonnent un peu de vie. « Moi, je n’avais pas le droit d’aller dans une salle de bain toute seule. Quand j’allais aux toilettes, je devais garder la porte ouverte. Rien de plus humiliant… Alors, la sexualité, ce n’est pas possible. »
La maladie d’Eugénie l’a placée sur le chemin d’un gastro-entérologue lors d'une hospitalisation. Médecin et ex-patiente sont désormais fiancés. En hôpital psychiatrique, le contact entre eux se limite à leur correspondance. Le couple préfère « prendre son mal en patience », le temps de se retrouver à la maison. Et pour cause. Eugénie se désole de l'atmosphère de suspicion qui règne. « Quand mon fiancé vient me voir, on le fouille, pour être bien sûr qu’il ne m’apporte pas de nourriture ou de laxatif. Comment peut-on avoir une intimité de couple dans ces conditions ? », raconte-t-elle avant de se confier sur son poids. Au-dessus de quarante kilos, elle se trouve "trop grosse", et refuse toute sexualité, comme elle l'explique ci-dessous.
Thierry boit son café, solitaire. Il attend des gens à qui parler. Grisonnant, le cheveu gras qu'il repousse en arrière d'un geste compulsif, la mine émaciée, il dit « ne pas habiter très loin ». « Venir ici me permet de voir des gens, de pas déprimer, quoi », ajoute-t-il. En dix minutes, le quinquagénaire brasse dix sujets de conversation. Il disserte sur la géopolitique, s'enflamme sur la littérature, avant de déplorer sa virginité, à cinquante ans passés. Trois tables plus loin, dans le fond de la salle, un homme discute seul. Il exulte, murmure, s'énerve parfois, juste avant d'éclater de rire.
« Ils ont peur qu'on se fasse du mal. Le fait qu'on ne puisse pas s'enfermer à clé, c'est surtout pour nous protéger. »
« Quand j’allais aux toilettes, je devais garder la porte ouverte. Rien de plus humiliant…
La sexualité, ce n’est pas possible. »
« Ils ont peur qu'on se fasse du mal. Le fait qu'on ne puisse pas s'enfermer à clé, c'est surtout pour nous protéger. »
Direction l'hôpital d'Allonnes, dans la Sarthe.
« Cela ne m'est jamais arrivé de me faire prendre en plein rapport sexuel, mais si ça arrive, on se fait engueuler, je pense », lâche Julia, d'une voix hésitante, les mains occupées à touiller nerveusement son café. À vingt-six ans, elle a déjà fait plusieurs séjours, parfois de plusieurs mois. Aide à domicile de formation, elle souffre de dépression depuis l'adolescence. Il y a quelques années, on lui a diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline (ou état limite), maladie mentale qui se traduit par une forte impulsivité et des difficultés à gérer ses émotions et ses relations.
« Quand j’allais aux toilettes, je devais garder la porte ouverte. Rien de plus humiliant…
La sexualité, ce n’est pas possible. »
De ses différents passages en psychiatrie, Julia retient l'omerta dominante en matière de vie affective et sexuelle. Entre patients, les règles sont très strictes. Officiellement, les rapports ne sont pas interdits. Mais toute interaction doit se faire sous surveillance, et dans les pièces communes. « Même la journée, s'ils nous trouvent dans la chambre de l'autre, ils nous font sortir », raconte la jeune femme. Quelque part, elle comprend : « On est tous malades. Je pense qu'ils ont peur qu'on se fasse du mal. Le fait qu'on ne puisse pas s'enfermer à clé, c'est surtout pour nous protéger. » Toutefois, elle pointe les incohérences de cette loi du silence. « On n'est pas censés, mais oui ça se passe, faut pas rêver. » L'année dernière, elle a eu une liaison dans l'établissement. « Le plus souvent, j'attendais qu'elles soient [les infirmières, ndlr] dans leur bureau, en train de préparer des médicaments, explique-t-elle, et puis je me faufilais ».
Direction l'hôpital d'Allonnes, dans la Sarthe. « Cela ne m'est jamais arrivé de me faire prendre en plein rapport sexuel, mais si ça arrive, on se fait engueuler, je pense », lâche Julia, d'une voix hésitante, les mains occupées à touiller nerveusement son café. À vingt-six ans, elle a déjà fait plusieurs séjours, parfois de plusieurs mois. Aide à domicile de formation, elle souffre de dépression depuis l'adolescence. Il y a quelques années, on lui a diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline (ou état limite), maladie mentale qui se traduit par une forte impulsivité et des difficultés à gérer ses émotions et ses relations.
De ses différents passages en psychiatrie, Julia retient l'omerta dominante en matière de vie affective et sexuelle. Entre patients, les règles sont très strictes. Officiellement, les rapports ne sont pas interdits. Mais toute interaction doit se faire sous surveillance, et dans les pièces communes. « Même la journée, s'ils nous trouvent dans la chambre de l'autre, ils nous font sortir », raconte la jeune femme. Quelque part, elle comprend : « On est tous malades. Je pense qu'ils ont peur qu'on se fasse du mal. Le fait qu'on ne puisse pas s'enfermer à clé, c'est surtout pour nous protéger. » Toutefois, elle pointe les incohérences de cette loi du silence. « On n'est pas censés, mais oui ça se passe, faut pas rêver. » L'année dernière, elle a eu une liaison dans l'établissement. « Le plus souvent, j'attendais qu'elles soient [les infirmières, ndlr] dans leur bureau, en train de préparer des médicaments, explique-t-elle, et puis je me faufilais ».
Derrière le comptoir, les infirmières. « L'intimité ? », s'étonne Catherine, « mais ça n'existe pas en HP ! » Patrick, son collègue, raconte comment une aide-soignante est intervenue manu militari dans une chambre, lorsqu'une patiente faisait l'amour avec son petit-ami... en présence de trois autres usagers.
Thierry boit son café, solitaire. Il attend des gens à qui parler. Grisonnant, le cheveu gras qu'il repousse en arrière d'un geste compulsif, la mine émaciée, il dit « ne pas habiter très loin ». « Venir ici me permet de voir des gens, de pas déprimer, quoi », ajoute-t-il. En dix minutes, le quinquagénaire brasse dix sujets de conversation. Il disserte sur la géopolitique, s'enflamme sur la littérature, avant de déplorer sa virginité, à cinquante ans passés. Trois tables plus loin, dans le fond de la salle, un homme discute seul. Il exulte, murmure, s'énerve parfois, juste avant d'éclater de rire.
La vie sexuelle en institution dépend également de la maladie et donc de la surveillance plus ou moins pesante des soignants. « Eugénie, c’est au deuxième étage. » L’ascenseur dessert un long couloir. Les portes sont grandes ouvertes sur des vies restreintes, coincées entre quatre murs immaculés. Au service des troubles alimentaires de l’hôpital de la Croix-Rouge, à Rouen, les patients se reposent, accrochés à leur sonde gastrique. Beaucoup d'entre eux sont passés, faute de structures spécialisées, dans un service psychiatrique. Leur pathologie ? L’anorexie mentale.
Chambre 118. Quatre petits coups, et une voix faible, épuisée : « Entrez. » Le corps maigre d’Eugénie est recroquevillé sur un fauteuil. Ses propos virulents lui redonnent un peu de vie. « Moi, je n’avais pas le droit d’aller dans une salle de bain toute seule. Quand j’allais aux toilettes, je devais garder la porte ouverte. Rien de plus humiliant… Alors, la sexualité, ce n’est pas possible. »
La maladie d’Eugénie l’a placée sur le chemin d’un gastro-entérologue lors d'une hospitalisation. Médecin et ex-patiente sont désormais fiancés. En hôpital psychiatrique, le contact entre eux se limite à leur correspondance. Le couple préfère « prendre son mal en patience », le temps de se retrouver à la maison. Et pour cause. Eugénie se désole de l'atmosphère de suspicion qui règne. « Quand mon fiancé vient me voir, on le fouille, pour être bien sûr qu’il ne m’apporte pas de nourriture ou de laxatif. Comment peut-on avoir une intimité de couple dans ces conditions ? », raconte-t-elle avant de se confier sur son poids. Au-dessus de quarante kilos, elle se trouve "trop grosse", et refuse toute sexualité, comme elle l'explique ci-dessous.
Bienvenue au centre socio-thérapeutique et culturel, le CSTC, un lieu de vie installé à l'entrée de l'hôpital psychiatrique Guillaume-Régnier, à Rennes. C'est une maison faite de briques, ouverte à tous. La cafèt' est gérée par des infirmiers, des aides-soignants et des patients. Un premier coup d'œil dans la salle évoque n'importe quel foyer
culturel. Un baby-foot prend la poussière à côté d'une
étagère branlante, sur laquelle sont entassés livres et
jeux de société.
Les regards sont méfiants. Alors parler de sexe de but en
blanc... Forcément, les premiers échanges sont laborieux.
Mais passées les frilosités, la discussion tourne très vite
autour du manque d'espace personnel. Thierry, lui, botte toujours en touche. De toute façon, ce qu'il aime, c'est lire.
Derrière le comptoir, les infirmières. « L'intimité ? s'étonne Catherine, mais ça n'existe pas en HP ! » Patrick, son collègue, raconte comment une aide-soignante est intervenue manu militari dans une chambre, lorsqu'une patiente faisait l'amour avec son petit-ami... En présence de trois autres usagers.
Chapitre 2
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