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Les séquelles

Il avait demandé deux heures, on lui en a accordé une. Une heure pour retrouver sa petite amie. Ils sont séparés depuis plus de six mois maintenant, et le manque se fait cruellement sentir. Il veut la voir, lui parler, se confier, certes. Mais ce qui lui manque le plus, c’est le goût de ses lèvres, la texture de sa peau. Il veut la sentir, la toucher, la caresser. Alors comme prévu, il a enfilé un jogging avec une ceinture élastique. Plus facile à enlever. Elle, doit arriver en jupe, sans sous-vêtement, çe serait l’idéal. C’est la seule solution pour pouvoir faire l’amour sans se faire repérer. Toutes les stratégies sont bonnes pour s’octroyer un peu de plaisir, là où le sexe est interdit. Ruser pour voler une sexualité, voilà le quotidien des détenus.

Homophobie

 

Voler une sexualité, c'est aussi, parfois, se cacher des autres codétenus. En prison, l'homosexualité est chose courante, mais personne n’en parle. La stigmatisation y est très forte, sans doute encore plus qu’à l’extérieur. « Certaines étaient considérées comme des pestiférées ou comme des monstres », témoigne Anne-Laure.
« L’homophobie crée des clans en prison. Les femmes qui n’acceptent pas l’homosexualité mettent de côté celles qui sont en couple. » Dans le centre de détention pour femmes de Rennes, chacune peut aller et venir au sein de son quartier.
« J’ai côtoyé des couples qui, pour avoir une intimité,
masquaient l’œilleton de leur cellule avec un morceau de coton.

Mais certaines surveillantes n’acceptaient pas et
mettaient des CRI
[compte rendu d’incident, ndlr]. »
Le prévenu peut alors écoper d’une sanction allant du
simple avertissement jusqu’au séjour en cellule disciplinaire ou à l’allongement de sa peine.

Pourtant, il n’est pas formellement interdit d’avoir un rapport sexuel. À aucun moment le Code de procédure pénale ne fait directement référence à la sexualité. Le seul article qui s’en rapproche interdit
« d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur. » Comme pour les parloirs, c’est sur cette base que les surveillants et l’administration peuvent sanctionner les détenus.

 

Dans certaines prisons tout de même, l’homosexualité est tolérée. Vanessa y a d'ailleurs trouvé l’amour. Attirée par les femmes avant son incarcération, elle a eu plusieurs relations avec des codétenues. Lors de son séjour à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), elle a demandé à la direction d’être installée dans la même cellule que son amie. « Je leur ai dit que s’ils ne nous mettaient pas ensemble, ils allaient nous pousser au délit, à l’attentat à la pudeur. Ça a marché. »

 

 

Homosexualité de circonstance

 

Chez les hommes comme chez les femmes, les pratiques homosexuelles ne correspondent pas nécessairement à l’orientation sexuelle des détenus. L’homosexualité est souvent de circonstance. Dans cet univers monosexué, avoir un rapport avec une personne du même sexe est le moyen le plus évident de satisfaire ses besoins ou s’accorder un moment d’affection. « Le manque le plus cruel en prison, c’est la tendresse », reconnaît Pascal. Pendant sa longue incarcération, il a connu quatre établissements ; et partout, le même manque. Alors forcément, il s'est laissé caresser... Même si « ce n'est pas trop [son] truc ». Ces échanges de caresses ou ces pratiques sexuelles peuvent aller jusqu’à la sodomie. Elles sont conditionnées par les rapports virils qu’entretiennent les détenus. Le « pédé » n’est pas celui qui pratique la sodomie mais celui qui la subit. « La loi de la jungle règne en cellule. Si tu ne veux pas te faire enculer, il faut montrer que tu es fort, sinon c’est terminé. »

 

* Le prénom a été modifié

« Véritable moyen de chantage »

 

Le plaisir se mélange à la honte constante d’avoir à se cacher et à la crainte de se faire surprendre. À tout moment, le gardien peut entrer. Certains surveillants, comme Maude*, à la prison des femmes de Rennes, estiment que « la prison est une privation de liberté, pas une privation de tout, les gens ne font pas de mal. » Alors, elle accepte de fermer les yeux. D’autres, au contraire, appliquent à la lettre les consignes et séparent toute étreinte un peu trop prolongée.

 

Pour Lydia Trouvé, secrétaire du syndicat pour la protection et le respect des prisonniers (PRP) et elle-même femme de détenu, cette zone grise peut vite devenir un « véritable moyen de chantage. »  Selon elle, l’administration pénitentiaire use de ce moyen de pression pour obtenir le calme. Certains matons zélés profitent alors de leur temps de surveillance en parloir pour priver de sexe les détenus les plus récalcitrants.

Pascal : « Ça devient une obsession »

         Anne-Laure : « Pas d'autre moyen »

Plaisirs solitaires

Vanessa : « Les sextoys sont interdits »

Plaisir personnel

 

L’Observatoire international des prisons (OIP) estime qu’un tiers de la population carcérale est célibataire. Alors bien souvent, derrière les barreaux, la sexualité est une affaire personnelle. Sous la couette, lorsque l'on n'entend plus que le souffle régulier des codétenus et la ronde des surveillants, les détenus qui se masturbent bravent les interdits. Elle exploite les interstices du temps carcéral ; c'est un moment volé, toujours en cachette, un plaisir solitaire fait de pulsion et d'empressement. Éric, dix-huit ans de prison, raconte ainsi « qu'il n'y a pas d'intimité en prison. À Fresnes, on était quatre dans la                        même cellule. On s'obligeait à partir en promenade, à ne laisser                qu'une seule personne pour la branlette, quand elle avait un                    besoin impérieux. »

 

               Pour se stimuler, les détenus, hommes comme femmes,                        redoublent d'inventivité. Jusqu'aux années 1990 et                                        l'avènement du « deuxième samedi du mois » de Canal +,                   l'excitation sexuelle passe par les magazines pornographiques. Les images, qui tournent entre les cellules, alimentent les fantasmes. En 1991, tout change. Le film pour adultes du samedi soir assure aux surveillants le calme dans les cellules, chacun étant occupé à se muscler l'avant-bras. Sans le savoir, « la quatre » a révolutionné la taule.

 

 

 

Tabou féminin

 

Chez les femmes, le rapport à la masturbation est différent. Moins répandu, ou moins assumé, il reste un sujet de discussion récurrent. Objet de honte, objet de rires. Myriam Joël, sociologue auteure de La sexualité en prison des femmes, explique que le tabou autour de la masturbation féminine est le même qu'à l'extérieur. Une partie des détenues considère d'un œil noir le plaisir solo, quand beaucoup d’autres blaguent à la simple vue d'une banane ou d'une aubergine.

Myriam Joël se souvient d’une surveillante réticente à l’idée d’enlever à une prévenue son godemichet artisanal, bidouillé à partir d'un drap enroulé en forme de tube. Malgré tout, la direction l'aurait forcée à le confisquer. Question de principes. Pour Anne-Laure, qui a passé un peu plus d’un an derrière les barreaux, il faut « leur laisser des jouets ». « Pour qu'elles puissent au moins prendre du plaisir même si elles sont toutes seules. Il y aurait peut-être moins de violences, de non-dits. On aurait des personnes beaucoup plus sereines, et donc moins de suicides. »

 

Masturbation pathologique,

ou thérapeutique ?

 

Alors, face à l'interdit, elles bricolent. Tournevis, linge déchiré puis entortillé, carotte... Tout objet à l'apparence phallique est utile. Idem chez les hommes, pour les objets ''pénétrables''. Un sac plastique et de l'eau chaude. Peu importe le flacon, pourvu qu'il y ait l'ivresse d'une sensation simili-vaginale. Parfois, le système D prend des tournures sordides. Jacques Lesage de la Haye, ancien détenu devenu psychanalyste, évoque une truie dans le jardin de la prison. Éric, lui, se rappelle d'un codétenu qui avait été surpris, la nuit,
« en train de donner du bonheur à un poulet » qu'il avait cantiné.

Un rituel, un besoin, une obsession. Pascal se souvient qu'il ne pouvait pas dormir s'il ne le faisait pas. Arnaud Gaillard, sociologue auteur de Sexualité et prison, appelle cela la « masturbation thérapeutique ». Se toucher n’a plus comme fin l’éjaculation mais la simple vue de son sexe en érection rassure les prisonniers. Il s'agit d'un moyen pour eux de se sentir toujours des « individus bandants et pénétrants ». L'érection est l'un des derniers totems de leur virilité.

Orgasmes
écroués

Chapitre 1

Pascal : « Toujours à l'arrache »

Anne-Laure : « Un an d'abstinence »

Vanessa : « Moi je ne peux plus »

Pascal

Anne-Laure

Vanessa

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Tournevis, carotte... Tout objet à l'apparence phallique est utile.

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Myriam Joël est sociologue à Paris X. Elle est la première à travailler sur la sexualité des femmes en prison. En 2017, elle publie La sexualité en prison de femmes, résultat de sa thèse soutenue en 2012.

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Le « pédé » n’est pas celui qui pratique la sodomie mais celui qui la subit.

Jacques Lesage de La Haye est incarcéré en 1958 pour braquage. Il purge sa peine dans la maison centrale de Caen où il poursuit ses études et obtient une licence de psychologie. Militant anarchiste, il écrit plusieurs ouvrages sur la sexualité en milieu carcéral dont La guillotine du sexe,
en 1978.

Plaisir personnel

 

L’Observatoire international des prisons (OIP) estime qu’un tiers de la population carcérale est célibataire. Alors bien souvent, derrière les barreaux, la sexualité est une affaire personnelle. Elle exploite les interstices du temps carcéral ; c'est un moment volé, toujours en cachette, un plaisir solitaire fait de pulsions et d'empressement. Sous la couette, lorsque l'on n'entend plus que le souffle régulier des codétenus et la ronde des surveillants, les détenus qui se masturbent bravent les interdits. Éric, dix-huit ans de prison, raconte ainsi « qu'il n'y a pas d'intimité en prison. À Fresnes, on était quatre dans la même cellule. On s'obligeait à partir en promenade, à ne laisser qu'une seule personne pour la branlette, quand elle avait un besoin impérieux. »

Pour se stimuler, les détenus, hommes comme femmes, redoublent d'inventivité. Jusqu'aux années 1990 et l'avènement du « premier samedi du mois » de Canal +, l'excitation sexuelle passe par les magazines pornographiques. Les images, qui tournent entre les cellules, alimentent les fantasmes. En 1991, tout change. Le film pour adultes du samedi soir assure aux surveillants le calme dans les cellules, chacun étant occupé à se muscler l'avant-bras. Sans le savoir, « la quatre » a révolutionné la taule.

Manche de tournevis, carotte... Tout objet à l'apparence phallique
est utile.

Tabou féminin

 

Chez les femmes, le rapport à la masturbation est différent. Moins répandu, ou moins assumé, il reste un sujet de discussion récurrent. Objet de honte, objet de rires. Myriam Joël, sociologue auteure de La sexualité en prison des femmes, explique que le tabou autour de la masturbation féminine est le même qu'à l'extérieur. Une partie des détenues considère d'un œil noir le plaisir solo, quand beaucoup d’autres blaguent à la simple vue d'une banane ou d'une aubergine.

Myriam Joël se souvient d’une surveillante réticente à l’idée d’enlever à une prévenue son godemichet artisanal, bidouillé à partir d'un drap enroulé en forme de tube. Malgré tout, la direction l'aurait forcée à le confisquer. Question de principes. Pour Anne-Laure, qui a passé un peu plus d’un an derrière les barreaux, il faut « leur laisser des jouets ». « Pour qu'elles puissent au moins prendre du plaisir même si elles sont toutes seules. Il y aurait peut-être moins de violences, de non-dits. On aurait des personnes beaucoup plus sereines, et donc moins de suicides. »

 

Masturbation pathologique,

ou thérapeutique ?

 

Alors, face à l'interdit, elles bricolent. Manche de tournevis, linge déchiré puis entortillé, carotte... Tout objet à l'apparence phallique est utile. Idem chez les hommes, pour les objets ''pénétrables''. Un sac plastique et de l'eau chaude. Peu importe le flacon, pourvu qu'il y ait l'ivresse d'une sensation simili-vaginale. Parfois, le système D prend des tournures sordides. Jacques Lesage de la Haye, ancien détenu devenu psychanalyste, évoque une truie dans le jardin de la prison. Éric, lui, se rappelle d'un codétenu qui avait été surpris, la nuit, « en train de donner du bonheur à un poulet » qu'il avait cantiné.

Un rituel, un besoin, une obsession. Pascal se souvient qu'il ne pouvait pas dormir s'il ne le faisait pas. Arnaud Gaillard appelle cela la         « masturbation thérapeutique ». Se toucher n’a plus comme fin l’éjaculation mais la simple vue de son sexe en érection rassure les prisonniers. Il s'agit d'un moyen pour eux de se sentir toujours des « individus bandants et pénétrants ». L'érection est l'un des derniers totems de leur virilité.

Pourtant, il n’est pas formellement interdit d’avoir un rapport sexuel. À aucun moment le Code de procédure pénale ne fait directement référence à la sexualité. Le seul article qui s’en rapproche interdit « d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur ». Comme pour les parloirs, c’est sur cette base que les surveillants et l’administration peuvent sanctionner les détenus.

 

Dans certaines prisons tout de même, l’homosexualité est tolérée. Vanessa y a d'ailleurs trouvé l’amour. Attirée par les femmes avant son incarcération, elle a eu plusieurs relations avec des codétenues. Lors de son séjour à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), elle a demandé à la direction d’être installée dans la même cellule que son amie. « Je leur ai dit que s’ils ne nous mettaient pas ensemble, ils allaient nous pousser au délit, à l’attentat à la pudeur. Ça a marché. »

 

Homosexualité de circonstance

 

Chez les hommes comme chez les femmes, les pratiques homosexuelles ne correspondent pas nécessairement à l’orientation sexuelle des détenus. L’homosexualité est souvent de circonstance. Dans cet univers monosexué, avoir un rapport avec une personne du même sexe est le moyen le plus évident de satisfaire ses besoins ou s’accorder un moment d’affection. « Le manque le plus cruel en prison, c’est la tendresse », reconnaît Pascal. Pendant sa longue incarcération, il a connu quatre établissements ; et partout, le même manque. Alors forcément, il s'est laissé caresser... Même si « ce n'est pas trop [son] truc ». Ces échanges de caresses ou ces pratiques sexuelles peuvent aller jusqu’à la sodomie. Elles sont conditionnées par les rapports virils qu’entretiennent les détenus. Le « pédé » n’est pas celui qui pratique la sodomie mais celui qui la subit. « La loi de la jungle règne en cellule. Si tu ne veux pas te faire enculer, il faut montrer que tu es fort, sinon c’est terminé. »

 

* Le prénom a été modifié

Homophobie

 

Voler une sexualité, c'est aussi, parfois, se cacher des autres codétenus. En prison, l'homosexualité est chose courante, mais personne n’en parle. La stigmatisation y est très forte, sans doute encore plus qu’à l’extérieur. « Certaines étaient considérées comme des pestiférées ou comme des monstres », témoigne Anne-Laure. « L’homophobie crée des clans en prison. Les femmes qui n’acceptent pas l’homosexualité mettent de côté celles qui sont en couple. » Dans le centre de détention pour femmes de Rennes, chacune peut aller et venir au sein de son quartier. « J’ai côtoyé des couples qui, pour avoir une intimité, masquaient l’œilleton de leur cellule avec un morceau de coton. Mais certaines surveillantes n’acceptaient pas et mettaient des CRI [compte rendu d’incident, ndlr] ». Le prévenu peut alors écoper d’une sanction allant du simple avertissement      jusqu’au séjour en cellule disciplinaire ou à l’allongement de sa peine.

Le « pédé » n’est pas celui qui pratique la sodomie mais celui qui la subit.

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