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Chapitre 5

Vieux
et approuvés

« Puritanisme à la française »

 

S'intéresser à la mentalité et aux actions entreprises chez nos voisins est révélateur. Gérard Ribes évoque le « puritanisme » français toujours à l'œuvre quant à la sexualité, héritage de siècles « d'inégalités hommes-femmes et de domination d'une religion socialement pesante ». Basé à Lyon, il se rend régulièrement en Suisse pour ses recherches. Lors de ses visites d'Établissements médico-sociaux (EMS), équivalents des Ehpad, il perçoit un climat plus libéré sur la question de la vie affective et sexuelle des personnes âgées. Toutes les télévisions sont par exemple équipées de chaînes pornographiques. Outre la vision pudibonde qu'ont les gens de la sexualité dans l'Hexagone, le spécialiste tient pour responsable la conception française très ''hospitalière'' de l'Ehpad.

 

                 Il observe aussi que le livret d'accueil de certaines                                       institutions suisses comporte le numéro de travailleurs du                        sexe. Mais attention, nuance Claudine Damay, présidente                       de l'association suisse romande Corps solidaires, « il y a une                     espèce de croyance qui veut que tout soit différent ici, mais                     c'est faux. Comme partout, ça dépend de la direction et du                     personnel de l'établissement ». Corps solidaires forme et                           supervise des assistants sexuels : des personnes accompagnant sensuellement et sexuellement des adultes demandeurs n'ayant pas d'autre solution. Le public concerné est principalement handicapé, mais il n'est pas rare que l'association intervienne en EMS. Pourquoi, en France, l'assistanat sexuel en est-il encore à ses balbutiements ? « L'assistanat est associé à de la prostitution. Or, en Suisse, la prostitution n'est pas illégale. »

 

Droit au respect de la vie privée

 

Si, en France, le respect de la vie intime des résidents n’est pas encore une évidence dans tous les établissements, sa prise en considération a indubitablement progressé ces dernières années. « Cela fait dix ans que je travaille sur la sexualité en Ehpad, et il y a une vraie évolution », constate Marick Fèvre, co-auteure de l’ouvrage collectif Amours de vieillesse. La vie affective et sexuelle n’est plus seulement une plaisanterie à laquelle on hésite à croire. « Quand j'ai commencé mes travaux, il y a une vingtaine d'années, j'ai été traité de tous les noms d'oiseaux. On m'a dit que je m'intéressais à des choses qui
n'existaient pas ! »
, s’exclame Gérard Ribes, psychiatre et
sexologue.

Avec le temps, mentalités et représentations de la
vieillesse ont beaucoup évolué, installant un contexte
plus favorable à l’émergence de la thématique de la
sexualité des personnes âgées. « On parle de plus
en plus de liberté
, note Cécile Gagé, psychologue à
l’Ehpad de Pacé (Ille-et-Vilaine), et le respect de la liberté passe par la sexualité. » En 2002, la loi Kouchner a reconnu à la personne prise en charge dans les services médico-sociaux le droit au « respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité ». En 2007, la Charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance, révisée par la Fondation nationale de gérontologie, a pris le même virage.

 

Engouement inégal

 

Applications concrètes de ces textes, les formations dédiées au personnel soignant sont de plus en plus nombreuses. Pour libérer la parole, adapter les comportements, mieux respecter les résidents… Ces temps d’échanges visent à briser le tabou. Dans ce domaine, Éric Seguin est un pionnier. En 2012, alors directeur d’Ehpad à Guipavas (Finistère), il met sur pied l’une des premières formations à la vie intime dans son établissement. À l’époque, cette initiative est loin d’être aisée. « Aucun organisme n’offrait de contenu avec les composantes que je voulais insérer. On m'a ri au nez. J'ai construit dans le détail toute la maquette pédagogique », se remémore-t-il encore sidéré. Aujourd’hui, il est bien plus simple pour les établissements de proposer ce type de formation. Certaines entreprises privées, comme MQS Formation en Bretagne, ont, elles aussi, commencé à en créer, preuve que la thématique intéresse.

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Malgré tout, les disparités sont toujours importantes. La mise en place d’activités et de formations novatrices dépend bien souvent de l’état d’esprit de l’équipe de direction. « C’est un sujet qui devient à la mode, mais il faut le porter », confirme Caroline Labarthe, directrice de l’Ehpad de Pacé. Tiphaine le Bihan-Maillot, formatrice chez MQS, le rappelle : « Historiquement, les aides-soignants et les infirmiers ont été formés à la technicité et à la neutralité. Depuis quelques années, on a évolué vers une manière de soigner plus humaine. Et c'est parfois dur de faire cohabiter les deux. » Au-delà des établissements, il revient aussi aux pouvoirs publics de se saisir de la question des obstacles à une vie affective et sexuelle épanouie pour les personnes âgées. Ce qui est de plus en plus fréquent.

 

Le plan d'action 2018-2022 pour la région Bretagne de l'Agence Régionale de Santé comprend un important volet vie affective et sexuelle, notamment pour promouvoir celle des personnes âgées en établissement. D'ailleurs, dès 2013, Eric Seguin recevait à Guipavas la visite de la ministre déléguée aux Personnes âgées, Michèle Delaunay. Il a aussi été primé par la Fondation de France pour l'ensemble de son travail sur le sujet. « Il y a des progrès, confirme l'ex-directeur d'établissements. Aujourd'hui, beaucoup d'instituts de formation d’infirmiers et d’aides-soignants ont intégré un module sur la vie intime. » Néanmoins, le décalage entre la prise en compte du problème et la mise en place de véritables procédures persiste. Surtout que les problèmes actuellement rencontrés par le secteur médico-social ont tendance, une nouvelle fois, à renvoyer la question sexuelle au second plan. Tiphaine le Bihan-Maillot estime pourtant que manque de moyens et négation de la question sexuelle sont étroitement liés : « En tant que soignant, si on est trop dans la relation alors qu'on a une cadence infernale, on est malheureux. Il y a donc l’idée de tenir l'autre à distance. »

Mai 68 en Ehpad

 

L’évolution des mentalités et l’adaptation des comportements en établissement risquent de devenir un point d’achoppement crucial dans les années à venir. À la génération silencieuse, pour laquelle la sexualité était un véritable tabou, va succéder une autre, celle des soixante-huitards, de la libération sexuelle, pour qui sexualité rime aussi avec plaisir. « Dans vingt ans, on accueillera la génération baby-boom en Ehpad, rappelle Éric Seguin. Ils n'auront pas les mêmes attentes. Le jeune soignant formé aujourd'hui à la vie intime sera toujours soignant. Il sera complètement désarmé s'il n'est pas préparé. »

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Or, ce n'est pas quelques années avant qu'il faut anticiper le problème. Initier une évolution des mentalités prend des décennies. Introduire l’idée de sexualité en institution n’est donc plus seulement optionnel. Pour que les futures Francine soient protégées et puissent vivre pleinement leur sexualité, cela va devenir une nécessité.

Francine est décédée d’une tumeur au cerveau due au virus du Sida. Elle avait 84 ans, et personne n’avait pensé à la soumettre à un test VIH. « Ses filles nous ont ensuite raconté que leur mère était partie faire du tourisme sexuel dans différents pays d’Afrique du Nord », raconte Gérard Ribes, spécialiste de la sexualité des personnes âgées. Combien de personnes a-t-elle pu contaminer au sein de l'Ehpad où elle séjournait ? Avec une prévention adéquate, cela aurait pu être évité. Mais dans la plupart des établissements, aucun préservatif n’est mis à disposition. « De toute façon, les résidentes ne risquent pas de tomber enceintes », s’amuse la psychologue d’un établissement de Rennes. Un risque de grossesse non, mais des MST, oui. « On considère souvent les personnes âgées comme étant pures. On parle de tendresse plus que de sexualité, et on ne prend pas en compte les risques », déplore Gérard Ribes. Dans la grande majorité des cas, la sexualité des pensionnaires est traitée a posteriori, et comme un problème.

 

Stéphanie Bourhis, directrice d’établissement, fait partie des pionnières en matière de sensibilisation. Chaque année, le 1er décembre, dans son Ehpad de Pouldreuzic (Finistère), elle distribue à chacun des préservatifs à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le Sida. Les résidents sont parfois gênés, mais globalement réceptifs à cette sensibilisation. « Au final, ce sont leurs enfants les plus choqués, remarque la directrice. Une jeune femme pensait même que sa mère avait perdu la tête car elle racontait qu’on distribuait des préservatifs à l’Ehpad ! » Peu d'établissements mènent cette action. Pourtant, le budget n’est pas une excuse. « C’est gratuit. La journée de sensibilisation est financée par la mutuelle hospitalière. »

Chapitre 5

Vieux et approuvés

Dans les Ehpad suisses, toutes les télévisions sont équipées de chaînes pornographiques.

« En tant que soignant, si on est trop dans la relation alors qu'on a une cadence infernale, on est malheureux. »

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Psychiatre et sexologue, Gérard Ribes est enseignant-chercheur et directeur de l’enseignement de sexologie à l’université Lyon 1. La plupart de ses travaux portent sur la sexualité et le vieillissement.

Claudine Damay est la présidente de l’association suisse romande Corps

solidaires, qui regroupe des assistants sexuels et dispense des formations dans ce domaine. Elle est elle-même une ancienne 

accompagnante sexuelle.

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Auteur d’un mémoire traitant de la sexualité des personnes âgées, Éric Seguin a travaillé, dans les années 2010, au sein de différents Ehpad finistériens. Cadre au sein de la collectivité locale, il a notamment géré les

maisons de retraite de Guipavas et du Relecq-Kerhuon.

Respecter, c'est former

"Ce n'est pas la génération capote "

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Responsable promotion de la santé au sein du groupe mutualiste Radiance Humanis, Marick Fèvre est l’une des références françaises sur la vie affective et sexuelle des personnes âgées. Elle a co-dirigé l’ouvrage Amours de vieillesse.

 

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Myriam Besse pilote des projets et programmes de prévention et de

promotion de la santé prioritaire au Pôle de coordination en santé sociale à Rennes.

« Puritanisme à la française »

 

S'intéresser à la mentalité et aux actions entreprises chez nos voisins est révélateur. Gérard Ribes évoque le « puritanisme » français toujours à l'œuvre quant à la sexualité, héritage de siècles « d'inégalités hommes-femmes et de domination d'une religion socialement pesante ». Basé à Lyon, il se rend régulièrement en Suisse pour ses recherches. Lors de ses visites d'Établissements médico-sociaux (EMS), équivalents des Ehpad, il perçoit un climat plus libéré sur la question de la vie affective et sexuelle des personnes âgées. Toutes les télévisions sont par exemple équipées de chaînes pornographiques. Outre la vision pudibonde qu'ont les gens de la sexualité dans l'Hexagone, le spécialiste tient pour responsable la conception française très ''hospitalière'' de l'Ehpad.

Dans les Ehpad suisses, toutes les télévisions sont équipées de chaînes pornographiques.

Il observe aussi que le livret d'accueil de certaines institutions suisses comporte le numéro de travailleurs du sexe. Mais attention, nuance Claudine Damay, présidente de l'association suisse romande Corps solidaires, « il y a une espèce de croyance qui veut que tout soit différent ici, mais c'est faux. Comme partout, ça dépend de la direction et du personnel de l'établissement ». Corps solidaires forme et supervise des assistants sexuels : des personnes accompagnant sensuellement et sexuellement des adultes demandeurs n'ayant pas d'autre solution. Le public concerné est principalement handicapé, mais il n'est pas rare que l'association intervienne en EMS. Pourquoi, en France, l'assistanat sexuel en est-il encore à ses balbutiements ? « L'assistanat est associé à de la prostitution. Or, en Suisse, la prostitution n'est pas illégale. »

 

Droit au respect de la vie privée

 

Si, en France, le respect de la vie intime des résidents n’est pas encore une évidence dans tous les établissements, sa prise en considération a indubitablement progressé ces dernières années. « Cela fait dix ans que je travaille sur la sexualité en Ehpad, et il y a une vraie évolution », constate Marick Fèvre, co-auteure de l’ouvrage collectif Amours de vieillesse. La vie affective et sexuelle n’est plus seulement une plaisanterie à laquelle on hésite à croire. « Quand j'ai commencé mes travaux, il y a une vingtaine d'années, j'ai été traité de tous les noms d'oiseaux. On m'a dit que je m'intéressais à des choses qui
n'existaient pas ! »
, s’exclame Gérard Ribes, psychiatre et sexologue.

« En tant que soignant, si on est trop dans la relation alors qu'on a une cadence infernale, on est malheureux. »

Avec le temps, mentalités et représentations de la vieillesse ont beaucoup évolué, installant un contexte plus favorable à l’émergence de la thématique de la sexualité des personnes âgées. « On parle de plus en plus de liberté, note Cécile Gagé, psychologue à l’Ehpad de Pacé (Ille-et-Vilaine), et le respect de la liberté passe par la sexualité. » En 2002, la loi Kouchner a reconnu à la personne prise en charge dans les services médico-sociaux le droit au « respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité ». En 2007, la Charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance, révisée par la Fondation nationale de gérontologie, a pris le même virage.

 

Engouement inégal

 

Applications concrètes de ces textes, les formations dédiées au personnel soignant sont de plus en plus nombreuses. Pour libérer la parole, adapter les comportements, mieux respecter les résidents… Ces temps d’échanges visent à briser le tabou. Dans ce domaine, Éric Seguin est un pionnier. En 2012, alors directeur d’Ehpad à Guipavas (Finistère), il met sur pied l’une des premières formations à la vie intime dans son établissement. À l’époque, cette initiative est loin d’être aisée. « Aucun organisme n’offrait de contenu avec les composantes que je voulais insérer. On m'a ri au nez. J'ai construit dans le détail toute la maquette pédagogique », se remémore-t-il encore sidéré. Aujourd’hui, il est bien plus simple pour les établissements de proposer ce type de formation. Certaines entreprises privées, comme MQS Formation en Bretagne, ont, elles aussi, commencé à en créer, preuve que la thématique intéresse.

Respecter, c'est former

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Ehpad Libérés, délivrés ? 

Ehpad Vieux et approuvés

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Chapitre 4

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Ehpad

Vieux et approuvés

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Chapitre 4