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Chapitre 1

Un lit pour toi,
un lit pour moi

Les couples, oubliés des Ehpad

 

Si Ghislaine et Guy n’ont pas obtenu de lit deux places, au moins ont-ils pu investir une chambre double, ce qui est loin d’être évident à l’entrée en Ehpad. Sur les six établissements gérés par le Centre communal d’action sociale (CCAS) de Rennes, seuls deux disposent

de chambres doubles ou communicantes. Pour plusieurs raisons, les installations pour les couples en institution sont rares. Certains dorment déjà séparément à leur arrivée ; pour d’autres, l’état de santé nécessite une chambre individuelle pour faciliter les soins. Les directions mettent également en avant la difficulté de changer de chambre quand l’un des deux membres du couple vient à décéder.

 

                        Globalement, le modèle général de l’Ehpad est                                             construit sur la prise en charge individuelle. Yvette et                                 Marcel en ont fait les frais. À la fin de l’année 2016, ils                                 entrent à Gaëtan-Hervé, un établissement rennais qui                               ne dispose que de chambres individuelles. Mais, pour                               ces deux nonagénaires, pas question de vivre                                               séparément. Leur rencontre date d’une petite trentaine                           d’années ; lors d’un bal, ils tombent sous le charme l’un                             de l’autre. Yvette est alors divorcée, et le couple de                                      Marcel bat de l’aile. Très malade, l’épouse de ce dernier passe neuf ans à Gaëtan-Hervé avant d’y décéder en 2016. Familier des lieux, Marcel interroge, peu après, la directrice, Marie-Thérèse Auffray, sur la possibilité pour lui et Yvette d’occuper la même chambre, et ainsi préserver une part d’intimité. La règle étant « une chambre par résident », le compromis qui en découle est pour le moins inhabituel. Le couple habite une chambre, mais en loue une seconde, au bout du couloir. « On met le linge là-bas. Cela nous fait un débarras, juste un peu cher », ironise Yvette.

Ne pas déranger

 

Quand il est possible de vivre dans la même pièce et de se contorsionner à deux sur un matelas aussi étroit, reste à trouver un créneau durant lequel personne ne rentrera dans la chambre. « En moyenne, il y a entre vingt et quarante entrées par jour dans une chambre en Ehpad », martèle Gérard Ribes, sexologue et spécialiste de la vie affective et sexuelle des personnes âgées. Autant d’irruptions dans l’espace privé des résidents, justifiées par la toilette, le soin, le traitement médicamenteux ou encore la collation de l’après-midi. « Pour tout le personnel, on insiste bien sur le fait que la chambre, c’est le domicile des personnes âgées. On doit frapper avant d'entrer », se                                        défend Marie-Thérèse Auffray. Elle reconnaît                                                toutefois que les oublis arrivent. « Si j’étais                                                      résidente, je mettrais  un crochet en plus »,                                                    admet-elle.

 

                                    Dans beaucoup d’établissements, il est impossible                                      de fermer sa porte à clef, pour des raisons de sécurité. S'il y a un verrou, le personnel dispose toujours d'un pass. « Donc, il n’y a pas la possibilité de s’isoler, résume Gérard Ribes. À force de mettre de la sécurité pour les gens, on tue une des choses les plus importantes : la relation intime. » Ces allées et venues pas toujours annoncées empiètent aussi sur le simple respect de la vie privée : dans beaucoup d’établissements, des couples ont déjà été dérangés en pleine relation sexuelle, par le personnel ou par leur famille.

La mise à disposition des résidents d’écriteaux "Ne pas déranger" est loin d’être généralisée. Un grand nombre d’établissements l’écartent, ne l’envisageant que dans un cadre d’intimité sexuelle. Les équipes de Gaëtan-Hervé ont en effet estimé que « suspendre un écriteau, c’est afficher qu’il se passe quelque chose ». Une autre explication est peut-être moins avouable : la peur d'un travail rendu difficile si chacun commence à gérer l'accès à sa chambre. Qu’ils aient une sexualité ou non, les usagers peuvent simplement désirer un peu de tranquillité. Souffrant du manque d’intimité, Sylvain, 86 ans, résident à l’Ehpad les Nymphéas, à Pacé, Ille-et-Vilaine, a fabriqué son propre panneau à accrocher à sa porte. « La question ne devrait même pas se poser », affirme Éric Seguin, cadre au ministère des Affaires Sociales à Saint-Pierre-et-Miquelon. En 2009, lorsqu’il était directeur d’un groupe d'Ehpad dans le Finistère, il a mis des écriteaux à disposition des résidents. « Ce qui est rigolo c’est qu’on a eu le sentiment d’inventer l’eau chaude alors que ça existe depuis toujours dans les hôtels », ironise-t-il.

Dès 2007, Ghislaine et Guy se sont préinscrits dans quatre Ehpad de la région rennaise. L’emménagement a lieu dix ans plus tard, en décembre dernier. Une chambre, deux lits simples. « Le lit est tout le mariage », écrivait Balzac.  Mariée depuis soixante-deux ans, Ghislaine regrette déjà les nuits à deux. « Les lits médicalisés, c’est le couperet qui tombe. Une partie d’intimité disparaît, on a de la chaleur en moins », déplore-t-elle, après cinq semaines de sommeil à quelques mètres de son mari. Alors que cela s’est déjà fait, jamais le personnel n’a proposé à Ghislaine et Guy d’installer dans leur chambre un lit double. L’initiative doit venir des résidents.

 

Ce problème est à l'image de la sexualité en Ehpad, une composante de la vie des pensionnaires perçue comme secondaire.

Preuve en est que le lit double médicalisé, compromis idéal, relève encore du luxe, voire du rêve. « Je ne suis même pas sûre que ça existe, sourit d’abord Caroline Labarthe, directrice de l’Ehpad des Nymphéas à Pacé. Des lits médicaux doubles, c’est très cher. Si c’est pour qu’ils servent une fois tous les trois ans, l’investissement n’est absolument pas nécessaire. Je préfère mettre l’argent pour d’autres outils utiles à d’autres résidents. »

 

Le lit médicalisé est-il nécessaire pour tous les résidents ? Fait observé partout en France, les maisons de retraite accueillent des personnes de plus en plus âgées et dépendantes. Trois facteurs rendent alors le lit médicalisé indispensable pour les aides-soignants, exposés aux douleurs dorsales : la hauteur réglable, les barrières, et le dossier inclinable. Mais la standardisation de ces lits métalliques sur roulettes s’applique aussi aux résidents les plus autonomes, contraints de partager leurs moments d’intimité sur quatre-vingt centimètres de large.

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« En moyenne, il y a entre vingt et quarante entrées par jour dans une chambre en Ehpad. »

Sur les six établissements gérés par le CCAS de Rennes, seuls deux disposent de chambres “doubles ou communicantes”.

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Psychiatre et sexologue, Gérard Ribes est enseignant-chercheur et

directeur de l’enseignement de sexologie à l’université Lyon 1. La plupart

de ses travaux portent sur la sexualité et le vieillissement.

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Les couples, oubliés des Ehpad

 

Si Ghislaine et Guy n’ont pas obtenu de lit deux places, au moins ont-ils pu investir une chambre double, ce qui est loin d’être évident à l’entrée en Ehpad. Sur les six établissements gérés par le Centre communal d’action sociale (CCAS) de Rennes, seuls deux disposent

de chambres doubles ou communicantes. Pour plusieurs raisons, les installations pour les couples en institution sont rares. Certains dorment déjà séparément à leur arrivée ; pour d’autres, l’état de santé nécessite une chambre individuelle                                  pour faciliter les soins. Les directions mettent également en avant la difficulté de changer de chambre quand l’un des deux membres du couple vient à décéder.

Sur les six établissements gérés par le CCAS de Rennes, seuls deux disposent de chambres “doubles ou communicantes”

Globalement, le modèle général de l’Ehpad est construit sur la prise en charge individuelle. Yvette et Marcel en ont fait les frais. À la fin de l’année 2016, ils entrent à Gaëtan-Hervé, un établissement rennais qui ne dispose que de chambres individuelles. Mais, pour ces deux nonagénaires, pas question de vivre séparément. Leur rencontre date d’une petite trentaine d’années ; lors d’un bal, ils tombent sous le charme l’un de l’autre. Yvette est alors divorcée, et le couple de Marcel bat de l’aile. Très malade, l’épouse de ce dernier passe neuf ans à Gaëtan-Hervé avant d’y décéder en 2016. Familier des lieux, Marcel interroge, peu après, la directrice, Marie-Thérèse Auffray, sur la possibilité pour lui et Yvette d’occuper la même chambre, et ainsi préserver une part d’intimité. La règle étant « une chambre par résident », le compromis qui en découle est pour le moins inhabituel. Le couple habite une chambre, mais en loue une seconde, au bout du couloir. « On met le linge là-bas. Cela nous fait un débarras, juste un peu cher », ironise Yvette.

Ne pas déranger

 

Quand il est possible de vivre dans la même pièce et de se contorsionner à deux sur un matelas aussi étroit, reste à trouver un créneau durant lequel personne ne rentrera dans la chambre. « En moyenne, il y a entre vingt et quarante entrées par jour dans une chambre en Ehpad », martèle Gérard Ribes, sexologue et spécialiste de la vie affective et sexuelle des personnes âgées. Autant d’irruptions dans l’espace privé des résidents, justifiées par la toilette, le soin, le traitement médicamenteux ou encore la collation de l’après-midi. « Pour tout le personnel, on insiste bien sur le fait que la chambre, c’est le domicile des personnes âgées. On doit frapper avant d'entrer », se défend Marie-Thérèse Auffray. Elle reconnaît toutefois que les oublis arrivent. « Si j’étais résidente, je mettrais  un crochet en plus », admet-elle.

« En moyenne, il y a entre vingt et quarante entrées par jour dans une chambre en Ehpad. »

Dans beaucoup d’établissements, il est impossible de fermer sa porte à clef, pour des raisons de sécurité. S'il y a un verrou, le personnel dispose toujours d'un pass. « Donc, il n’y a pas la possibilité de s’isoler, résume Gérard Ribes. À force de mettre de la sécurité pour les gens, on tue une des choses les plus importantes : la relation intime. » Ces allées et venues pas toujours annoncées empiètent aussi sur le simple respect de la vie privée : dans beaucoup d’établissements, des couples ont déjà été dérangés en pleine relation sexuelle, par le personnel ou par leur famille.

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