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Chapitre 4

Chasse au pointeur

Pour se protéger du sort réservé aux pointeurs, Nicolas a demandé à la direction de purger sa peine sous pseudonyme. Sans succès. « Si je m’en suis sorti aujourd’hui, ce n’est pas grâce à l’administration pénitentiaire. » Mais Nicolas n’est pas resté indemne de sa détention. Aujourd’hui, après avoir retrouvé la liberté, la souffrance est toujours grande. « Je suis mal dans ma peau et je reste suivi par un psychologue. » Il admet avoir même hésité à changer de sexe, tant son mal-être est profond : « Ce que j’ai vécu en prison m’a changé, je ne suis plus le même homme qu’avant. »

 

*Les prénoms ont été modifiés

L'émancipation en prison des femmes

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S'endurcir ou subir

Cette violence, Nicolas* l’a subie. Dans un univers aussi brutal que celui de la prison, la sexualité peut devenir la pire des armes. Écroué en 2009 dans le nord de la France, il a passé « quatre ans, neuf mois, quinze jours et quelques heures » derrière les barreaux. Nicolas comptait les jours. Tout au long de son incarcération, il a été la victime privilégiée de ses codétenus.

Anne-Laure : « C'est arrivé dans les douches »

Pascal : « Il sert de serpillière»

Victimes invisibles

 

Le cas de Nicolas est loin d’être isolé. En 2015, une situation similaire est signalée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) suite à sa visite de la maison d’arrêt de Strasbourg. Un prisonnier se plaint de violences de la part de son codétenu. Le changement de cellule qu’il réclame n’aboutit pas, malgré l’appui du médecin. Le jour suivant son signalement, il indique avoir été violé durant la nuit. Le contrôleur général a, pour ce cas, considéré l’absence de suites données à son appel à l’aide comme « une atteinte grave à la préservation de l’intégrité physique de l’intéressé. » Son simple pouvoir de recommandation ne lui permet cependant pas d’aller plus loin. L’administration pénitentiaire recense au total plus de 8 000 agressions entre détenus par an, sur une population carcérale totale d’environ 70 000 personnes. Cependant, les chiffres ne mentionnent pas le caractère des violences constatées. Impossible d’isoler le nombre de viols ou d’agressions sexuelles commises. Sans compter la vraisemblable sous-évaluation de ces actes. Selon l’ouvrage Parlons prison en 30 questions publié par la Documentation Française, la majorité d’entre eux « se produisent dans les lieux où les surveillants sont absents, comme les douches. »

« J’ai été violé et torturé. Ils m’ont pris à quatre et emmené de force dans les douches. Je n’ai rien pu voir. J’avais un sac poubelle sur la tête, et quand ils le retiraient pour me laisser respirer, l’un d’entre eux m’aspergeait les yeux avec le jet d’eau. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. Au moins dix minutes. Ils étaient trois pour m’immobiliser pendant que le dernier m’enfonçait une bouteille de javel dans le derrière. »

« La majorité des viols se passe dans les lieux où les surveillants sont absents, comme les douches. »

« Ce que j’ai vécu en prison m’a changé, je ne suis plus le même homme qu’avant »

Jacques Lesage de La Haye est incarcéré en 1958 pour braquage. Il purge sa peine dans la maison centrale de Caen où il poursuit ses études et obtient une licence de psychologie. Militant anarchiste, il écrit plusieurs ouvrages sur la sexualité en milieu carcéral dont La guillotine du sexe,
en 1978.

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Myriam Joël est sociologue à Paris X. Elle est la première à travailler sur la sexualité des femmes en prison. En 2017, elle publie La sexualité en prison de femmes, résultat de sa thèse soutenue en 2012.

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« En prison, les gens minces comme moi se font fracasser. » En raison de son physique, Nicolas appartenait à la catégorie des « faibles » définie par la sociologue Gwénola Ricordeau. Dans un article publié en 2004, elle répertorie quatre types de victimes d’agressions sexuelles en prison : « les homosexuels, les pointeurs, les faibles (psychologiquement ou physiquement) et les balances. »

Passages à tabac, humiliations et agressions sexuelles, Nicolas énumère tous les coups qu’il a « pris dans la gueule », sans pour autant réussir à les expliquer. « Peut-être pour le crime dont on m’accusait », suggère-t-il à demi-mot. Pour ses agresseurs, Nicolas était aussi un pointeur. Dans le jargon des prisonniers, c’est celui qui écope de réclusion pour viol et à qui il faut faire payer ses actes. Condamné pour des faits d’agression sexuelle sur mineur, il a toujours clamé son innocence. En 2017, on estime les "pointeurs" à environ 10% de la population carcérale, selon les chiffres du ministère de la Justice. Mais Nicolas s’indigne : « J’ai vu des pédophiles prendre beaucoup moins cher que moi de la part des autres détenus. » Son discours est particulièrement représentatif des témoignages de victimes recueillis par Gwénola Ricordeau. Pour celle-ci, le viol est ancré dans la « culture carcérale » et fait partie des « étapes normales de l’intégration » en prison. Leur discours se fige autour d’un constat : « ça peut arriver à tout le monde. »

« La majorité des viols se passe dans les lieux où les surveillants sont absents, comme les douches. »

Souffrir en silence

 

L’agression sexuelle que Nicolas décrit froidement est intervenue un peu moins d’un an après son incarcération. Il a cherché de l’aide. Mais à cette époque, il est en pleine procédure d’appel, et son avocat lui déconseille de mentionner cet événement lors du procès. Le médecin de la prison s’est également montré impuissant. « Quand un détenu vient nous voir pour témoigner d’un viol qu’il a subi, on peut demander à la direction un changement de cellule, mais il nous est interdit de mentionner la raison exacte car nous sommes soumis au secret médical », justifie René*, médecin d’un centre pénitentiaire de l’ouest de la France. Nicolas était isolé, et comme beaucoup d’autres détenus dans son cas, il s'est tu.

« Ce que j’ai vécu en prison m’a changé, je ne suis plus le même homme qu’avant »

Serge*, surveillant de prison en Ille-et-Vilaine, estime qu’un viol est déclaré tous les ans. « En théorie, le détenu qui se fait violer, il fait un courrier, il est vu, et on lui donne une cellule. Mais en réalité, c’est rare. Souvent, il doit attendre d’être sorti pour le déclarer. Mais on n’est pas au courant de ça. » Pour René, les détenus incarcérés dans de petites prisons ont plus de chances de voir leur demande satisfaite. « Dans les grosses unités comme celle de Fleury-Mérogis [la plus grande prison d’Europe, ndlr], les signalements mettent du temps à remonter, cela peut en décourager plus d’un. » Nicolas, lui, n’a pas porté plainte. Il avait peur des représailles et perdu confiance dans la justice qui l’avait déjà condamné deux fois, en première instance et en appel.

Souffrir en silence

 

L’agression sexuelle que Nicolas décrit froidement est intervenue un peu moins d’un an après son incarcération. Il a cherché de l’aide. Mais à cette époque, il est en pleine procédure d’appel, et son avocat lui déconseille de mentionner cet événement lors du procès. Le médecin de la prison s’est également montré impuissant. « Quand un détenu vient nous voir pour témoigner d’un viol qu’il a subi, on peut demander à la direction un changement de cellule, mais il nous est interdit de mentionner la raison exacte car nous sommes soumis au secret médical », justifie René*, médecin d’un centre pénitentiaire de                           l’ouest de la France. Nicolas était isolé, et comme                                       beaucoup d’autres détenus dans son cas, il s'est tu.                               Serge*, surveillant de prison en Ille-et-Vilaine, estime                              qu’un viol est déclaré tous les ans. « En théorie, le détenu                       qui se fait violer, il fait un courrier, il est vu, et on lui donne                     une cellule. Mais en réalité, c’est rare. Souvent, il doit attendre d’être sorti pour le déclarer. Mais on n’est pas au courant de ça. » Pour René, les détenus incarcérés dans de petites prisons ont plus de chances de voir leur demande satisfaite. « Dans les grosses unités comme celle de Fleury-Mérogis [la plus grande prison d’Europe, ndlr], les signalements mettent du temps à remonter, cela peut en décourager plus d’un. » Nicolas, lui, n’a pas porté plainte. Il avait peur des représailles et perdu confiance dans la justice qui l’avait déjà condamné deux fois, en première instance et en appel.

« En prison, les gens minces comme moi se font fracasser. » En raison de son physique, Nicolas appartenait à la catégorie des « faibles » définie par la sociologue Gwénola Ricordeau. Dans un article publié en 2004, elle répertorie quatre types de victimes d’agressions sexuelles en prison : « les homosexuels, les pointeurs, les faibles (psychologiquement ou physiquement) et les balances. »

                  Passages à tabac, humiliations et agressions sexuelles,                              Nicolas énumère tous les coups qu’il a « pris dans la
                  gueule »
, sans pour autant réussir à les expliquer. « Peut-                          être pour le crime dont on m’accusait », suggère-t-il à                                demi-mot. Pour ses agresseurs, Nicolas était aussi un                                pointeur. Dans le jargon des prisonniers, c’est celui qui                              écope de réclusion pour viol et à qui il faut faire payer ses                          actes. Condamné pour des faits d’agression sexuelle sur                            mineur, il a toujours clamé son innocence. En 2017, on estime les "pointeurs" à environ 10% de la population carcérale, selon les chiffres du ministère de la Justice. Mais Nicolas s’indigne : « J’ai vu des pédophiles prendre beaucoup moins cher que moi de la part des autres détenus. » Son discours est particulièrement représentatif des témoignages de victimes recueillis par Gwénola Ricordeau. Pour celle-ci, le viol est ancré dans la « culture carcérale » et fait partie des « étapes normales de l’intégration » en prison. Leur discours se fige autour d’un constat : « ça peut arriver à tout le monde. »

Vanessa : « La détention ne fait rien »

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Chapitre 3

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